Patrice Labarbe Auteur Photographe Accompagnateur Montagne |
Eté-automne 2011En long, en large mais surtout en hauteur, j'ai arpenté les Pays du Mont-Blanc avec des motivations photographiques. Ce fut un été à conditions variables, typique des Alpes du Nord. Juillet arrosé et neigeux en haute montagne, août meilleur et même caniculaire en fin de période.
Les larges paysages, pris par les nuées, les pluies et les neiges sont restés invisibles durant de longs moments et ce sont les matières et les couleurs du sol qui offraient des éléments de beauté naturelle. C'est en baissant les yeux que je me prenais au jeu de la visée macro et de ses surprises admirables.
Des gouttes de vie s'accrochaient à la matière ou roulaient sur des bleus divins, des feutrines rosées, des bijoux argentés. Les chaussures et le pantalon trempés je roulais dans des positions inconfortables pour capter la goutte. Des rayons de lumière laser surgissaient des nuages, des aubes faisaient naître des mélanges de pluie et de rosée et, sur les glaciers, des brumes accentuaient l'étrangeté de la matière.
Les graminées de Planpraz
Au-dessus du golf des Praz de Chamonix
Glacier des Bossons. En montagne, il faut profiter de la première partie de l'été, de ces longues journées où la courbe maximum du soleil pose sa lumière sur les recoins de face Nord et où le crépuscule est un immense à-plat de lumière. C'est en allant bivouaquer en haut de la moraine des Rognons que je bénéficiais pleinement de ce délicieux éclairage du début de l'été.
Glacier d'Argentière. Nous étions le 1er et 2 juillet lors de ce bivouac-photo à Argentière mais ce qui me frappait pour l'époque de l'année, c'était que la quasi intégralité de tout le glacier d'Argentière était déjà en glace vive, que rochers, terre et poussières ressortaient de la glace comme une matière enfouie libérée de sa gangue. L'Aiguille Verte et le glacier des Rognons. Le bassin du glacier d'Argentière. Chaque été a maintenant ses épisodes caniculaires intenses, chaque printemps voit ses températures devenir estivales, chaque hiver entretient son déficit de neige. C'est de cette manière que la haute montagne se disloque, que les glaciers se décharnent, mais qu'en même temps ce changement du paysage rends passionnant l'exploration de nouveaux territoires libérés de leur glace.
Les nouvelles polies glaciaires du front du glacier du Tour.
Les langues glaciaires des Bossons et de Taconnaz.
Glaciers des Bossons et Taconnaz. Langues glaciaires à l'agonie comme un pied gelé et nécrosé ou langues glaciaires momentanément épargnées, préservées pour un temps de l'inéluctable disparition. Toute la glace située ainsi en dessous de 2000m prends l'été cette allure spectrale et inquiétante si loin des anciennes visions pures, bleutées et blanches que découvrirent les touristes du 19ème siècle. Pourtant, vu d'en bàs, du centre ville de Chamonix, tout paraît si normalement beau, si extraordinaire, si impressionnant. Ces crépuscules sur les glaciers et les Aiguilles ont forgé la réputation esthétique de Chamonix et pourtant tout ceci est en train de se transformer à une vitesse stupéfiante.
Alors, cherchant d'une certaine manière à me rassurer, je recherchais la vision et la compagnie des éléménts sécurisants du paysage, ceux par qui naissent les sentiments de stabilité, de fertilité. Et curieusement, ces bonheurs encourageants provenaient bien plus du monde de la moyenne montagne, univers stabilisé sur lequel une délicieuse végétation couvrait les pentes la moitié de l'année. Vallée de Chamonix. Hameau de Tré le Champ.
Rhododendrons sur les Posettes.
Les fruitiers d'avril au-dessus de Sallanches.
Les arnicas de Balme et la vallée de Chamonix.
Clocher de la chapelle des Praz de Chamonix. Lumière du matin et de fin d'après-midi.
Platé et Mont-Blanc depuis le massif des Aravis.
Sous bois de mélèzes aux Houches. Les arbres, les plantes, les fleurs, les racines, la terre exercaient sur ma sensibilité un attrait irrésistible. Je percevais la grande respiration qui se déclenchait chaque printemps et mettait la vie à portée de sens avec une acuité rendue sensible et efficace par la succession des années et des expériences. Et puis arrivait septembre qui était le début du flétrissement, du retour des givres d'altitude, des plus beaux bivouacs au-dessus des premières mers de nuages. Un soleil crépusculaire de septembre éclairait encore les faces Nord du Mont-Blanc et la longueur sensiblement égale des jours et des nuits équilibrait les moments de marche et de concentration photographique.
L'Aiguille Verte et les Grandes Jorasses depuis la Charlanon.
Le massif du Mont-Blanc et les Aiguilles Rouges depuis le Mont Buet.
Le Mont-Blanc depuis le sommet du Mont Buet. Prendre le temps d'aller voyager en altitude pour saisir des bribes de planète alpine. Aller poser le duvet et le réchaud sur l'Aiguille de Charlanon, le Mont Buet, la Jonction, la moraine des Rognons, le lac Blanc. Autant de lieux montagnards faits de matières étranges et de lumières sublimes, nids d'aigle pour observateurs avertis munis de gants, bonnet et de beaucoup de patience.
Le Lac Blanc
Le Lac des Chéserys Marcher en observant, en scrutant, en disséquant tous les paramètres qui composent le paysage. Anticiper des scénarios de rêve et revenir bredouille ou, comme ci-dessous au Lac Blanc, passer la journée sous un ciel laiteux et jubiler pendant les courts instants d'explosion crépusculaire.
Fin septembre au Lac Blanc Ainsi va la photo de montagne. La pratiquer est ingrat, douloureux, décourageant mais au final le rapprochement avec la Nature, l'esprit nomade qu'exige le relief, la sensibilité développée au contact des soleils brûlants et des neiges glacées attisent cette certitude que le petit Homme est dépendant mais aussi responsable de la Terre qu'il foule et qu'il exploite. Que nos biens les plus précieux ne sont pas achetables, ne se résument ni à des écrans, des voitures ou autres productions technologiques de pointe. Mesurées en Bonheur Intérieur Brut les instants de magie photographique représentent une richesse que tous les tas d'or n'atteindront jamais.
Tête de la Cicle. Vallée des Contamines Montjoie.
Lac des Chéserys face au massif du Mont-Blanc. Puis vient le temps de l'équilibrage des couleurs du paysage. Les protubérences glaciaires et les à pics rocheux ne sont plus les seuls à attirer les regards. Les forêts, les broussailles prennent en quelques jours une importance grandissante qui peut s'étaler sur des semaines et des semaines. Des semaines de pur régal, de complémentarités lumineuses qui inondent la montagne pour une totale perfection.
Tëte de la Cicle.
Vergers au-dessus du village de Servoz.
Rochers des Mottets.
Les Aiguilles de Chamonix depuis le Lac des Chéserys.
Replat des Chéserys. Massif des Aiguilles Rouges.
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09 février 2023 Bonne fête Apolline |